Commentaires sur le Congrès REHAB 98 de Dubai
Maruja SENER
Présidente de l'Association MYONET
Avril 1998

Les Emirats Arabes Unis organisent à Dubai un Congrès International sur la Réhabilitation des personnes handicapées. Le premier a eu lieu en octobre 1996 sur le thème "Awareness" (prise de conscience). Le second vient de prendre fin ce mardi 31 mars, après 3 jours de débats, d'expositions et de conférences.

C'était l'occasion de visiter une ville magique, où des mosquées dressent fièrement leurs minarets entre des buildings ultra-modernes décorés de guirlandes de néons. Ors et parfums, riches tissus le long des ruelles du souk, architectures et technologies de pointe. Et dans tout cela, femmes voilées de noir, hommes drapés de blanc.

Rassemblant des délégués d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie du Sud, cet événement est le premier du genre dans la région. Il représente une occasion exceptionnelle d'échange d'informations et d'expériences pour des pays en voie de développement, qui invitent également des intervenants de pays développés à présenter leur savoir-faire et leurs données.

Le contexte politique mondial dans lequel le congrès s'est préparé a laissé planer quelques tensions. Des traces d'inquiétudes, mais aussi de soulagement, restent sensibles dans le sillage des engins de guerre qui viennent de quitter le Golfe.

Dans les couloirs pendant les pauses café, deux mondes se rencontrent. Des délégués se reconnaissent, pour avoir déjà participé à des rencontres en commun, mais on remarque vite deux groupes, celui des gens du Sud, et celui des gens du Nord. Quelques tentatives de communication entre les deux groupes se dessinent, avec des hésitations.

Particulièrement touchés par les problèmes des handicaps, en raison notamment de l'émergence d'incapacités physiques et mentales liées aux mariages consanguins, les Emirats Arabes Unis sont sur le point de rédiger des textes de lois régissant la prévention des handicaps, la réhabilitation des personnes handicapées, et l'égalité des chances.

Les demandes des délégués des autres pays représentés concernent la recherche de modèles pertinents, la définition de priorités locales, pour lesquelles les gouvernements de chaque pays ont un rôle à jouer, et de priorités internationales qui impliquent des institutions internationales et des organisations non gouvernementales.

Parmi les délégués des organisations internationales, certains ont des modèles à vendre, et ils entrent en concurrence les uns avec les autres. Les intérêts des différentes nations divergent aussi sur d'autres points, en particulier les priorités à définir. Il reste, et il restera longtemps, des difficultés de communication dans les relations entre pays développés et pays en voie de développement.

Les préjugés culturels sont nombreux dans les deux sens, et l'aspect affectif du sujet rend les débats passionnants, et passionnés. Pour une déléguée : "Dans les pays développés ils tuent leurs enfants à la naissance quand ils apprennent qu'ils sont handicapés". Pour un autre : "En Chine, je ne pensais pas qu'ils connaissaient la vie". Et moi, qui n'imaginais pas de voir ces femmes voilées de noir, toutes équipées de leur téléphone portable cellulaire, papotant sans complexe, prenant la parole en public et dirigeant elles-mêmes des établissements de soins et d'éducation. Elles interviennent autant que les hommes, dirigent certains débats, et leurs paroles pèsent aussi lourd que celles de hommes.

Malgré les divergences d'intérêts et de culture, les questions de fond sont évidentes :

Comment prévenir les handicaps, dans une communauté défavorisée où trouver de quoi manger est plus important que d'accompagner une parturiente à l'hôpital ?

Comment faire une place aux handicapés dans le monde de l'éducation et du travail ?

Comment garantir des chances égales d'intégration sociale, quand l'accès aux transports et aux lieux publics est impossible ?

Quel rôle est-on prêt à donner à un handicapé dans sa propre famille ? Ethiquement, religieusement, quotidiennement, comment penser le partage de la vie sous des formes différentes ?

Technologiquement, comment rendre à un humain sa dignité, par son autonomie, son indépendance dans les gestes du quotidien, dans ses déplacements, dans son travail ?
 

Relativiser les réponses

Les modèles occidentaux ne sont pas valables tels quels pour les autres cultures.

La prise en compte des handicaps dans la culture arabo-musulmane a une histoire longue, riche, difficilement transposable dans une société occidentale. En particulier, l'intégration des handicapés est basée sur un concept de vie communautaire, dans ce qu'elle représente de partage des responsabilités et des richesses, humaines ou matérielles. La personne handicapée est nécessaire à l'équilibre du groupe, socialement et spirituellement.
 

Intégrer les réponses

Du côté occidental, il y a une expérience (des coûts, des infrastructures, des statistiques, des réponses technologiques), que l'on peut transmettre.

De l'autre côté, il y a une habitude d'intégration, un regard différent, familial et communautaire, sur le malade, dont on peut tenir compte.

Mais pour se comprendre, c'est à dire pour arriver à assimiler les messages de l'autre, il faut accepter un changement des mentalités. Dans tous les cas, apprendre à émettre et apprendre à recevoir, transforme.
 

Tenir compte des résultats et des réalités économiques

Prendre en compte l'ensemble des individus d'une communauté, est la meilleure façon de faire vivre et prospérer cette communauté. Plusieurs expériences démontrent la rentabilité de l'intégration sociale des différences.

Un peu partout, des initiatives privées pour la prévention des handicaps existent, mais leur coût est prohibitif. Tant que les coûts ne sont pas répartis sur la collectivité (par exemple pour l'équipements d'hôpitaux publics), les situations de handicaps se dégradent et leur prise en charge est alors beaucoup plus chère.

Lorsque des immeubles intègrent, dès leur conception, les notions d'accessibilité pour les fauteuils roulants, leur coût est largement inférieur à celui des immeubles qu'il faut réhabiliter après leur construction. D'autre part, assurer la sécurité de l'environnement domestique permet de réduire une cause importante de mortalité, y compris dans les pays occidentaux (en moyenne 4.000 morts, 4 millions d'accidents graves "domestiques" par an au Royaume-Uni).

Des expériences de transformation de réseaux publics, permettant l'accessibilité des transports et des magasins aux fauteuils roulants, ont montré que ces transformations étaient économiquement très largement rentables. Non seulement les handicapés consomment, mais "l'accessibilité" concerne aussi les gens avec des poussettes pour enfants, les personnes âgées, les personnes qui se déplacent difficilement à la suite d'un handicap passager, etc …
 

Trouver la troisième voie

Bien sûr, il n'y a pas une réponse, mais des pistes à explorer. Il n'y a pas un modèle, mais des cas particuliers. Que ce soit dans les questions, ou dans les réponses, on est rarement dans une situation extrême. Le cas particulier tient compte d'un environnement, d'une histoire, d'une spécificité.

Même le clivage Nord-Sud est réducteur. Il y a des clivages plus pertinents, à l'intérieur même des pays, quels qu'ils soient. Par exemple, dans tous les pays, entre les riches et les pauvres (les uns vont faire établir un diagnostic à l'étranger, où sont les spécialistes, et placer leurs enfants dans des institutions occidentales, les autres voient mourir leurs enfants de maladies parfois bénignes).

Se dire qu'il faut choisir, soit l'acharnement médical, soit la résignation, ne tient pas compte de toutes les possibilités qui existent entre ces positions tranchées. Une mère témoigne de longues années passées à rechercher une thérapie, même partielle, pour son fils. Un million de dollars en examens, consultations, voyages à l'étranger, recherches de compétences, au prix d'une vie de famille, d'une paix qui n'a pu être trouvée, finalement, que dans le renoncement. Et un autre témoignage, universel, d'une malade que les médecins avaient condamnée à ne jamais marcher, ne jamais parler. Dans son entourage familial, le message de résignation n'est pas passé, et après des soins quotidiens, elle marche, elle parle, elle est mariée et mère de quatre enfants en parfaite santé.

Dans un des domaines qui intéressent MYONET, qui est l'éducation des enfants handicapés, il y a d'autres voies à explorer que seulement le choix entre la ségrégation, l'esclavage de l'entourage ou l'intégration à tout prix. La recherche d'un système éducatif où l'intégration et le respect de la différence iront de soi, n'est pas une utopie. Ce n'est pas non plus, suivant les handicaps, toujours possible. C'est un choix de famille, c'est aussi un choix d'enfant. Les atteintes physiologiques sont différentes d'un individu à l'autre. Les besoins intellectuels, affectifs, sont aussi différents d'un individu à l'autre. L'intégration de la différence dans un système éducatif et social l'enrichit, élève le niveau de conscience et de compétence global.
 
 

En résumé, j'aimerais retourner à Dubai. J'aimerais voir ce que l'espoir partagé peut faire naître. J'aimerais y croire. Croire que l'on peut remettre en cause des idées préconçues. Croire que l'on peut participer à la création d'un monde nouveau. Croire que l'on peut faire une place digne à nos enfants, à nos conjoints, à nos amis.

Ne garder que l'amour en tête, quel que soit son nom.
 

* * *
 

Liste des principales recommandations du Congrès :

1. Eviter autant que possible les mariages consanguins,
2. Mettre en place des laboratoires d'études des maladies génétiques,
3. Aider la recherche contre l'épilepsie,
4. Etablir une législation sur l'accessibilité et la sécurité,
5. Promouvoir l'éducation du public en matière de prévention et de sécurité,
6. Former des médecins sur les atteintes de la moelle épinière,
7. Obtenir un soutien immédiat aux handicapés et faciliter leur intégration sociale,
8. Organiser des programmes d'éducation générale sur les handicapés,
9. Intégrer dans les études de construction d'immeubles l'accessibilité pour les handicapés,
10. Adapter les transports publics,
11. Organiser des activités qui occupent les handicapés et leur permettent d'être utiles,
12. Permettre l'intégration du monde du travail aux handicapés au maximum de leurs possibilités,
13. Surveiller les naissances prématurées et les enfants de petits poids,
14. Encourager la détection précoce des handicaps,
15. Encourager une scolarisation normale pour les enfants handicapés,
16. Mettre en place un programme de surveillance des nouveaux-nés et de diagnostic précoce,
17. Intégrer dans la communauté les besoins spécifiques des individus,
18. Rendre les lieux d'habitation accessibles et sûrs,
19. Créer un timbre spécial pour sensibiliser l'opinion publique,
20. Encourager les rencontres entre les pays de la région, et la recherche d'informations chiffrées (statistiques, bases de données, …).

 


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